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Bénin : Songhaï, l’école des fermiers-entrepreneurs, fait des émules

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Bénin : Songhaï, l’école des fermiers-entrepreneurs, fait des émules

Un bon article du monde

Sous le soleil, un groupe d’apprentis maraîchers épand des micro-organismes capables de fixer l’azote de l’air et les sels minéraux dans la terre. Tous sont vêtus de tee-shirts rouges et verts aux couleurs de Songhaï, sur lesquels figurent un aigle, symbole du centre, et un slogan : « L’Afrique relève la tête».

En 2011, Hubert Wiwédé Dansou était encore parmi eux. Aujourd’hui, il possède une ferme agro-pastorale de 2 126 mètres carrés, le Jardin des Béatitudes, qui mêle maraîchage, pisciculture, élevage de lapins et porcherie. Ses concombres étant prisés localement, Hubert envisage d’étendre la superficie de son exploitation puis d’accueillir d’autres jeunes pour les former aux techniques agricoles et à la gestion.

Songhaï, la grande école béninoise des fermiers-entrepreneurs, est à une heure de route, près de Porto-Novo. C’est à la sortie de la capitale, sur un hectare de mauvaise terre, que le prêtre dominicain Godfrey Nzamujo a ouvert sa « ferme mère » en 1985. Trente plus tard, elle s’étale sur plus de 22 hectares et a des airs de campus à l’américaine.

 
Hubert Wiwédé Dansou fait partie des 3370 personnes formées par le centre Songhaï. Il a ensuite ouvert sa ferme « le jardin des Béatitudes », qui mêle maraîchage, pisciculture, élevage de lapins et porcherie.CRÉDITS : BENJAMIN POLLE ET JULIEN LE NET

Depuis 1989, 3 370 hommes et femmes de 18 à 35 ans ont été diplômés à l’issue d’un cursus de 30 mois, gratuit pour les Béninois et coûtant de 40 000 à 135 000 francs CFA par mois (de 60 à 260 euros) pour les autres. Chaque année, 320 nouveaux étudiants sont recrutés, et 550 Africains accueillis pendant 3 à 6 mois pour des formations en gestion de ferme ou en nouvelles techniques agricoles. Comme Hubert Wiwédé Dansou, ils sont 1 770 à s’être installés à leur compte, dont 12% de femmes. Des chiffres encourageants alors que près d’une personne sur quatre souffre de la faim en Afrique subsaharienne, dont, paradoxalement, une majorité de paysans. « Comparée aux autres écoles agricoles du pays, Songhaï est en pointe et bénéficie d’une visibilité énorme, que Godfrey Nzamujo, personnage charismatique, sait entretenir », analyse un expert béninois.

Rien d’étonnant, donc, à ce que le nouveau premier ministre, Lionel Zinzou, ait choisi Songhaï pour l’une de ses premières visites officielles. Le 27 juin 2015, il y a défendu le projet de promotion de l’entrepreneuriat agricole, une réplique nationale du modèle Songhaï promise par le président de la République, Thomas Boni Yayi, qui achève son second et dernier mandat en 2016. À un an de la fin du programme, seules deux des onze zones agroécologiques prévues ont vu le jour. Mais la cadence « va s’accélérer », a assuré Lionel Zinzou.

Cette notoriété, le laboratoire à ciel ouvert du « frère Nzamujo » la doit à ses résultats. Les rendements atteignent deux à cinq tonnes par hectare et par an pour le maïs, une à deux tonnes pour le sorgho et deux à trois tonnes pour le soja, alors que la moyenne nationale ne dépassait pas 1,4 tonne par hectare en 2013, toutes productions de grain confondues. Le but : permettre aux producteurs locaux d’approvisionner leur propre marché et de créer des emplois ruraux, alors que l’Afrique importe de plus en plus de denrées alimentaires.

L’agriculture est le pilier du « système intégré Songhaï ». Les parcelles de laitues, aubergines, choux, melons, carottes ou tomates sont soigneusement entretenues, paillées et arrosées. Des semences bon marché, adaptées aux climats tropicaux et arides, sont à l’essai. L’ambition : réduire au maximum le recours aux pesticides et aux engrais chimiques, qui endettent les paysans et stérilisent les sols.

Ailleurs, les enclos de pintades et de cailles côtoient les poules pondeuses, les poulets de chair, les porcheries et les bassins de pisciculture. Les déchets des uns nourrissent les autres selon une logique « circulaire ». Les cossettes de manioc ou le son de riz sont incorporés à la recette de la provende, fourrage en granulé donné aux animaux. Les viscères des bêtes dépecées sont déposées sur de la paille pourattirer les mouches. Les asticots qu’elles pondent, riches en protéines, servent de menu fretin aux silures et aux carpes dont l’eau – issue des sanitaires – est épurée par les jacinthes. Ces plantes d’eau, partout chassées comme de la chienlit, sont utilisées ici pour leurs propriétés filtrantes. Elles sont ensuite enfouies dans un méthaniseur avec d’autres restes organiques qui, en se décomposant, produisent du biogaz, utilisé par la cuisine du restaurant. Enfin, un gazéifieur convertit la biomasse des rameaux ou des tourteaux pour fournir de l’électricité, en association avec des panneaux solaires.

La transformation locale des matières premières agricoles

Autre accélérateur des rendements : les machines, encore très rares dans les exploitations familiales africaines. Une fonderie en fabrique sur place, le plus souvent à partir de matériaux récupérés. On peut ainsi acquérir une très utile décortiqueuse d’arachides manuelle pour 85 000 francs CFA (129 euros).

Dernière étape : la transformation locale des matières premières agricoles, antienne des responsables politiques africains. Depuis 2010, pas moins de six lignes de production ont été établies dans de vastes entrepôts. Dix-huit tonnes de riz décortiqué peuvent en sortir chaque jour, ainsi que des chips de banane plantain, des granulés flottants destinés aux poissons – précédemment importés d’Israël et des Pays-Bas – ou des bouteilles d’eau potable, de concentré de tomate ou de jus de mangue (6 000 par heure). Ces dernières sont soufflées à Porto-Novo à partir de plastique recyclé, avec des machines chinoises.

En bout de chaîne, les produits sont estampillés Songhaï, puis écoulés dans la boutique du centre de Porto-Novo et via un réseau national de distribution. Songhaï en tire 43% de ses recettes, qui atteignaient 12,5 millions de dollars (9,3 millions d’euros) en 2013. Le reste provient des formations (18%), des services (11%) ainsi que des activités générées par la banque, l’hôtel, le cybercafé et la piscine du centre, visité chaque année par 20 000 touristes.

Pourtant, certains anciens élèves s’inquiètent. « La production animale ne serait pas considérée comme “bio” en Europe et la moitié des ingrédients de certains produits transformés est importée », regrette une ex-étudiante. « Le niveau des enseignants est très bas et tout repose sur Godfrey Nzamujo. Quand il partira, la réputation de Songhaï pourra-elle être maintenue ? ». D’autres difficultés se font jour : la durabilité des fermes et le coût d’acquisition du sol par des diplômés ayant une infime capacité d’emprunt, le recrutement au niveau BTS qui exclut les jeunes paysans analphabètes… « Songhaï présuppose une classe moyenne rurale qui n’existe pas encore », analyse un spécialiste béninois.

La « Songhaï Leadership Academy » formera 180 cadres

Blandine Araba, collaboratrice de M. Nzamujo, conteste cette version. « Toutes nos matières premières viennent de nos centres et d’entrepreneurs agricoles locaux formés par Songhaï, affirme-t-elle. Nous organisons des formations de masse, en cycle court, à destination des gens du métier. Récemment, plus de 500 paysans à faible revenu, de toutes les régions du pays, en ont bénéficié. Nous employons destechnologies peu chères, disponibles sur place, faciles à adopter et qui augmentent la productivité ».

Le processus est en marche : à partir de septembre 2015, la « Songhaï Leadership Academy », financée par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du « Monde Afrique ») à hauteur de 350 000 euros, formera 180 cadres qui « renforceront les centres actuels et appuieront la création de nouveaux sites », explique Géraud Terrisse, chargé de projets au bureau de l’AFD à Cotonou. Et d’autres centres, dirigés par des anciens de Songhaï (« preuve que la présence de M. Nzamujo n’est pas nécessaire », souligne Blandine Araba), ont ouvert au Nigeria, au Liberia et en Sierra Leone. A terme, une quinzaine de pays de la région en hébergeront.

Pour l’heure, treize sites existent. Le plus grand d’entre eux, celui de Katsina au Nigeria, s’étend sur 15 000 hectares – une véritable ville, qui devrait permettre à plus de 50 000 jeunes paysans de vivre de leur activité.
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