Lorsque le Nigéria a récemment annoncé qu’il était devenu la plus grande économie d’Afrique, personne ne vous en aurait voulu de penser que le pétrole était la seule raison. Après tout, le Nigéria est le plus important producteur de pétrole du continent. Ce que de nombreuses personnes n’ont pas réalisé toutefois, c’est le rôle croissant de l’agriculture dans le développement de l’économie nigériane et l’amélioration du niveau de vie de son importante population rurale.
J’ai eu l’occasion de voir de près à quel point il est difficile de réussir dans l’agriculture, non seulement lorsque j’étais président, mais également pendant les 35 années où j’ai moi-même été agriculteur. Je suis donc fier que le Nigéria soit en train de devenir un leader de la transformation agricole en Afrique grâce à l’Agenda de transformation agricole (ATA), un ensemble de réformes courageuses adoptées en 2011.
Compte tenu de l’ambition que nourrit cet agenda, le Nigéria devrait dépenser bien davantage dans l’agriculture que son engagement actuel de seulement 1,6 % du budget national. L’ATA démontre néanmoins déjà sa capacité à provoquer un revirement spectaculaire qui sert d’exemple à d’autres pays africains, comme nous l’expliquons dans le Rapport 2014 sur les progrès en Afrique, intitulé Céréales, pêche et capitaux : financer la révolution verte et la révolution bleue de l’Afrique.
L’ATA a pour vocation de mettre un terme au « paradoxe agricole » du Nigéria. Dans les années 1960, le Nigéria subvenait à ses propres besoins alimentaires. C’est alors qu’on y a découvert du pétrole. Le pays a commencé à dépendre de l’or noir pour soutenir sa croissance et son développement. Le Nigéria recèle pourtant d’abondantes ressources : 84 millions d’hectares de terres arables, deux des plus grands fleuves d’Afrique et une main-d’œuvre jeune et importante.
L’Agenda de transformation agricole vise à libérer ce potentiel, avec comme objectifs d’augmenter la production alimentaire à 20 millions de tonnes, de créer 3,5 millions d’emplois dans l’agriculture et les secteurs para-alimentaires, et de rendre le Nigéria autonome en riz d’ici 2015.
Les quatre piliers identifiés pour atteindre ces objectifs illustrent ce dont l’agriculture a besoin non seulement au Nigéria, mais sur tout le continent : de meilleures infrastructures pour améliorer l’accès au marché, un système de garantie des revenus pour compenser les pertes de récolte liées au climat, un système privé de subventions des engrais pour les agriculteurs pauvres et l’augmentation des tarifs d’importation pour promouvoir l’autonomie grâce à des produits de substitution.
Plusieurs initiatives ont été mises en place pour garantir le succès de l’agenda : le Growth Enhancement Support Scheme, un programme de soutien à l’augmentation de la croissance visant à améliorer l’accès aux engrais et aux semences, un système de partage des risques pour les prêts agricoles baptisé Nigeria Incentive-based Risk-Sharing System for Agricultural Lending, afin d’améliorer l’accès aux services financiers et aux produits d’assurance, et les Staple Crops Processing Zones, des zones de transformation des produits agricoles de base pour permettre aux agriculteurs d’accéder à des marchés à plus forte valeur ajoutée.
Cette stratégie a déjà produit des résultats saisissants. La production annuelle de riz est passée de 2,2 millions de tonnes il y a cinq ans à 3,1 millions de tonnes, et le secteur privé a suivi en créant 14 nouvelles usines de traitement à l’échelle industrielle.
La production céréalière traverse quant à elle une phase de transition à mesure que le Nigéria réduit ses importations de farine de blé pour la remplacer par une farine de manioc locale et de qualité comme principal ingrédient du pain. Les importations de sucre sont également en train de reculer avec la transformation croissante du manioc en un amidon pouvant être utilisé dans les édulcorants.
Le chiffre le plus marquant reste toutefois la part des agriculteurs nigérians qui ont accès à des engrais, qui s’est envolée de 11 à 90 %. Les semences et les engrais sont désormais fournis directement aux agriculteurs et arrivent même jusqu’aux zones rurales reculées.
Si le Nigéria engage davantage de ressources dans l’agriculture et continue d’améliorer ses cadres institutionnels et juridiques, le pays sera en mesure non seulement de se nourrir, mais également d’exporter de la nourriture et ainsi montrer la voie au reste de l’Afrique. Comme l’a déclaré l’an dernier Akinwumi Adesina, le ministre nigérian de l’Agriculture : « Au Nigéria, nous sommes en train de faire de l’agriculture le nouveau pétrole ».
Cette ambition cruciale ne pourrait pas être plus opportune. Il est en effet prévu que le Nigéria, qui compte déjà plus d’habitants que n’importe quel autre pays d’Afrique, devienne le troisième pays le plus peuplé au monde d’ici 2050, devant les États-Unis. Sur le continent, la demande alimentaire s’envole, en particulier dans les villes en rapide expansion.
Comme le montre le Rapport 2014 sur les progrès en Afrique, toutes les conditions sont réunies pour non seulement développer comme jamais auparavant le secteur agricole, mais également réduire considérablement la pauvreté. Il s’agit d’une révolution dont a cruellement besoin le Nigéria, où plus de 100 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Si les économies d’Afrique ont connu une croissance rapide ces dernières décennies, ce boom économique a eu toutefois peu de retombées sur les pauvres, en particulier lorsque ce sont les exportations de pétrole et de minerais, peu créatrices d’emploi, qui l’ont alimenté. La croissance agricole peut changer la donne, car elle permet de réduire la pauvreté deux fois plus vite que l’essor d’autres secteurs.
En d’autres termes, l’agriculture peut être encore plus que « le nouveau pétrole ». Les réserves d’or noir s’épuiseront un jour, mais l’Afrique subsaharienne aura toujours ses terres fertiles, ses fleuves, sa jeunesse et son immense marché intérieur. Pour transformer ce potentiel en source de prospérité, c’est maintenant qu’il faut investir.
Source: Forbes