Formés sur les bancs de HEC Paris, deux jeunes Abidjanais ont lancé, en juin, une application mobile de commande de taxis. Portraits d’entrepreneurs convaincus qu’ « il y a encore tout à faire » en Côte d’Ivoire.
Ils utilisent leurs propres véhicules. Pourtant, s’il y a bien deux Abidjanais qui savent où trouver des taxis à toute heure du jour (et de la nuit) dans la métropole ivoirienne, ce sont eux. Issa Sidibé et Ange Pete sont les créateurs de Taxi Jet, une application mobile de commande de véhicule avec chauffeur, une sorte de croisement entre l’application Uber et une centrale de réservation plus traditionnelle. Ses fondateurs préfèrent eux parler de « station virtuelle ».
En à peine quelques mois d’existence, le service enregistre déjà quelque 150 commandes quotidiennes. Certes, dans une ville qui compte près de 2 millions d’habitants et pas moins de 12 000 taxis pour 300 000 usagers journaliers, ces premiers résultats paraissent bien dérisoires. « Nous sommes encore en période de rodage », insistent Issa et Ange.
Établie depuis juin dans un local de la commune huppée de Cocody, leur équipe de 10 personnes – stagiaires et salariés – attend que l’installation du « call-center » soit finalisée. Dans les bureaux organisés en open-space, quelques câbles traînent au sol et plusieurs ordinateurs semblent comme sortis de leurs emballages. Mais, à peine a-t-elle pris possession des lieux que l’entreprise prévoit déjà de trouver plus grand.
« Nous serons bientôt à l’étroit, assure Issa, qui ne cache pas son ambition. À terme, nous souhaiterions couvrir 10 % du trafic des taxis ». Soit la gestion d’une flottille de 1 200 véhicules. Les deux entrepreneurs trentenaires (un troisième associé, actuellement installé à Londres, doit les rejoindre incessamment sous peu à Abidjan) ont une idée bien précise de leur objectif. Les études de marché, les ‘business plan’, les audits, c’est leur dada.
Paris, New York, Luxembourg, Abidjan
C’est sur les bancs de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), en 2007, qu’ Issa et Ange se sont rencontrés. Et que leur projet Taxi Jet a peu à peu pris forme dans leur esprit. « Nous avons commencé à mener des études de marché à distance, se souvient Issa. Mais à notre sortie de HEC Paris en 2010, nous nous sommes rendus compte que c’était encore compliqué en Côte d’Ivoire. » À cette époque, le pays est en effet en proie à une crise politico-militaire, et l’élection présidentielle censée y mettre un terme a viré à l’affrontement. Les deux diplômés préfèrent encore tâter le terrain avant de se lancer.
Issa travaillera durant deux ans dans un cabinet parisien de conseil pour les banques avant de partir au Luxembourg pour faire de l’audit. Parallèlement, Ange s’envolera pour New York afin d’assister un entrepreneur français œuvrant dans le design puis intègrera un fonds d’investissement à Paris. « Durant cette période, nous étions comme des éclaireurs qui vérifiaient si notre modèle économique pouvait tenir la route », confient-ils.
En 2013, alors que leur pays natal renoue avec la croissance et la stabilité, le duo fait le grand saut, laissant derrière eux une carrière toute tracée dans la finance européenne. « Nous voulions travailler dans les nouvelles technologies et cela n’aurait pas eu de sens de le faire en France. Le marché de l’innovation est saturé et il faut être extrêmement pointu pour espérer percer. Il faut avoir l’idée que personne n’aura, alors qu’ici il y a tout à faire. Étant originaires d’Abidjan, nous savions qu’en termes de transports il existe un vide que nous pourrions combler. »
Manque de transparence dans les prix pratiqués, insécurité (tant pour les passagers que pour les chauffeurs), parc automobile vieillissant… à Abidjan, une course en taxi confine parfois au parcours du combattant. En permettant aujourd’hui aux clients de commander à distance un véhicule entretenu sans avoir besoin de négocier le prix (le tarif moyen d’une course s’élève à 1 600 francs CFA, soit près de 2,5 euros), Taxi Jet entend bousculer le secteur. Un peu à la manière d’Uber. « Nous ne sommes pas venus pour concurrencer les taxis mais pour les structurer », nuance Issa, conscient des controverses qui ont accompagné l’arrivée de la société californienne dans certains pays. Les quelque 120 chauffeurs travaillant avec la petite entreprise ivoirienne sont des professionnels exerçant déjà légalement.
Où sont les investisseurs ?
Dans un avenir qu’ils espèrent proche, les jeunes entrepreneurs projettent de disposer également de leur propre flotte. « Notre volonté, c’est de créer des emplois », s’engagent-ils. Malgré une croissance estimée à près de 9 %, la Côte d’Ivoire ne parvient pas à enrayer le chômage qui touche les jeunes. Selon les autorités, au moins un quart des moins de 35 ans est sans travail. Pour lutter contre ce fléau, le gouvernement mise en grande partie sur l’entrepreunariat. Depuis quelques années, plusieurs mesures ont été prises afin de favoriser la création de start-up (dispositions fiscales incitatives, simplification des démarches administratives…) « En 48 heures, notre entreprise était fondée », se félicitent les patrons de Taxi Jet tout en admettant qu’au quotidien les choses ne sont pas toujours aussi simples. « Mais, ça c’est le sort de tout entrepreneur. »
De fait, pour Issa et Ange, le problème majeur dans l’économie ivoirienne reste le manque de financements. « Quand tu parles de start-up, les banques et les fonds d’investissement refusent de débloquer de l’argent. Ils te disent de revenir lorsque tu pourras justifier de trois années d’expérience en tant que chef d’entreprise, déplorent-ils. Nous avons des amis qui ont de bonnes idées mais sont obligés de renoncer, faute de moyens. Alors qu’il suffit parfois de 15 000 euros pour se lancer. Nous, nous avons eu la chance de pouvoir les prendre directement dans notre poche. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. »
Une frilosité qui contraint le plus souvent les jeunes à rester dans une activité salariée ou informelle. « C’est regrettable, car il y a de la créativité en Côte d’Ivoire. Ce pays manque cruellement d’investisseurs, de ‘business angels’ capables de prendre des risques », juge Ange. S’ils parviennent à dégager des bénéfices, les « Taxi Jeteurs » se promettent d’investir en faveur de la création d’entreprises. « Nous avons déjà commencé à aider certains jeunes qui ont des projets. Pour le moment, nous ne donnons que des conseils mais bientôt ce sera de l’argent. »